A première vue, Yagami Light était un garçon sans histoire. Il n'était pas prédisposé à devenir un tueur en série. Il nacquit le 28 février 1986 dans une famille aisée de Tokyo : son père Souichiro était inspecteur de police, et il fut élevé par les bons soins de sa mère Sachiko, femme au foyer. Deux ans après sa naissance, il eut une petite soeur du nom de Sayu. Il fut inscrit dans de bonnes écoles et commença un cursus scolaire brillant, enjolivé de victoires sportives, qui devait l'amener à devenir le premier lycéen du Japon pour l'examen blanc d'entrée aux universités. Mais cette jolie petite histoire, n'importe qui peut l'apprendre en prenant la peine de s'informer sur internet. La vie n'est un long fleuve tranquille pour personne, elle est ponctuée de petites mésaventures parfois dissimulées qui font de vous ce que vous êtes.
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A 9 ans, en 1995, donc, le jeune Light Yagami fut détecté par son instituteur comme étant un petit surdoué. Il était évident qu'il était très intelligent, mais l'écolier traversait une phase brouillonne. L'enseignant se plaignait en effet que l'enfant, qui avait réussi jusque-là à passer les classes sans problème, se montrait soudainement démotivé. Passage chez le psychologue scolaire. Rien de bien grave, sinon que le petit Light avait un QI de 207. Il s'ennuyait tout simplement en cours. Panique générale ! « Il n'est pas normal ! » sanglotait une Sachiko éplorée sur l'épaule de son mari. On leur proposa de faire sauter une ou deux classes à Light, mais ses parents refusèrent, de peur que leur fils accumule les lacunes et ne puisse se présenter normalement aux concours des écoles. Il lui fallait le parcours le plus passe-partout possible. On leur donna alors une seconde solution : investir la soif intellectuelle de ce petit empêcheur de tourner en rond dans d'autres activités.
Suivit alors une farandole d'activités aussi diverses que variées : cours de piano, d'arts plastique, clubs de sciences, échecs, boxe thaïlandaise, tennis, blindèrent l'emploi du temps de l'écolier sans qu'il montrât la moindre difficulté à suivre ce rythme infernal. Il fallut beaucoup de courage à Souichiro pour suivre financièrement parlant. C'est peut-être ce qui l'a poussé assez loin pour obtenir des promotions au sein de la police. Light parut cependant trouver une sorte d'équilibre. Le petit drame était passé. En réalité, il avait compris combien ses particularités effrayaient ses parents, et il s'était mis à apprendre lui-même ce qu'il voulait, en secret. En 1997 en particulier, année où la famille Yagami avait dû héberger le grand'père de Light, il s'était intéressé aux avions et aux fusées dont il apprit les noms, les modes de fonctionnement et les caractéristiques par coeur. Les histoires fascinantes de son papi, ancien militaire à la retraite ne devaient pas être étrangères à ce brusque intérêt. A cet âge-là, quand on lui demandait ce qu'il voulait faire plus tard, il braillait à tue-tête : « Homme de l'Espace !! » Vous pouvez vous en douter, Sachiko n'était pas spécialement heureuse d'apprendre que le désir le plus cher de son fils était de devenir astronaute. Six mois plus tard, le grand'père était mort. Il fallut du temps à Light pour s'en remettre, mais les souvenirs des histoires de guerre devaient rester gravées dans sa mémoire. Dès lors, il ne fut question d'aller dans l'espace : Souichiro n'eut pas besoin de s'expliquer longuement pour faire comprendre à son fils que ce n'était pas des choses à dire à sa mère à ce moment. Et Light s'engagea dans de nouvelles activités.
Deux ans plus tard, il était champion inter-collèges de tennis. Il fut heureux comme un roi lors de sa première victoire, la deuxième fois, il perdit goût à ce jeu. Il arrêta le tennis en même temps qu'il entra au lycée. Quinze ans : l'âge où l'on fait toutes les conneries imaginables. Il y eut une période musique, qui tourna court : c'était sympa, la guitare électrique, mais si c'était pour jouer dans un groupe naze, ce n'était pas la peine. En quelques mois, Light fit le tour de la question « fille ». Trop facilement arrivé à son but, il fut déçu du résultat : tout ça pour ça ? Ballot ! Bon, peut-être de temps en temps, pour s'amuser et faire comme tout le monde. Puis il rencontra deux de ses actuels amis : deux « nerds » qui lui apprirent toutes les ficelles de l'informatique. Et ce fut dans le monde virtuel que Light entra dans sa crise d'adolescence.
Que pouvait-il faire d'autre, lui, lycéen de quinze ans féru de programmation, dont le père amenait son ordinateur à la maison, bourré de données strictements confidentielles ? C'était trop tentant. On peut dire que celle-là, il ne l'avait pas loupée. Il put contempler à loisir des photos de cadavres mutilés, des milliards de yens détournés sur des graphiques vertigineux, des organigrammes tentaculaires d'organisations illégales, des listes sans fin de femmes prostituées, d'indics plongés dans la drogue jusqu'au cou, et de patrons soupçonnés d'employer des enfants au noir. Le comble fut atteint quand il tomba sur l'une des nombreuses lettres de menaces adressées mensuellement à la police par les mafieux qui essayaient de décourager les poulets de fouiner dans leurs affaires. Ce soir-là, tandis que son père, le front ridé par les soucis, essayait de se détendre en regardant une quelconque émission de variété, entre sa femme et sa fille qui conversaient joyeusement, Light riait jaune devant son écran d'ordinateur.
Il y avait là bel et bien de quoi réfléchir. Combien ce qu'il pouvait voir là était différent de l'idéal de société dont on entendait parler à la télé, à l'école ou à la maison. Quel gouffre entre son petit quotidien confortable, qu'il croyait à l'abri de toute menace, et le monde tel qu'il était vraiment, pourri, pourri à un point que c'en était inimaginable. Et à côté de ses cours, Light se consacra à une nouvelle activité, nocturne, celle-ci. Il se mit à suivre les enquêtes de son père.
Il ne put s'empêcher de participer à deux affaires. La dernière en date portait sur des crimes qui permettaient à leurs auteurs de toucher des primes d'assurance. Il étudiait justement ce problème en parallèle avec ses cours de mathématiques au lycée. S'arrangeant pour s'infiltrer au commissariat, il se manoeuvra habilement pour orienter les enquêteurs sur ses résultats, en évitant toutefois de dévoiler ses sources. Le piratage de l'ordinateur de son père fut à deux doigts d'être soupçonné, mais finalement la Crim' n'y vit que du feu. Il aurait pû s'estimer heureux de ne pas avoir été pris la main dans le sac. Mais non. De cette aventure, il ne restait que le dépit de voir que malgré toutes les preuves réunies, les coupables s'en tiraient facilement devant les tribunaux.
Il aurait bien voulu continuer à démonter des plans criminels, mais les examens approchaient, et il fallait absolument qu'il réussisse parfaitement les concours s'il voulait entrer dans un bonne faculté et intégrer les plus hauts grades de la police. Suivirent deux mois d'ennui et de frustration, qui furent écourtés par l'apparition d'un étrange cahier de couleur noire. Funeste Death Note, qui devait emporter les vies de Kuro Otoharada et Takuo Shibuimaru, les premières victimes qu'il avait tuées « juste pour voir ».
Les trois premiers jours, Light en fut malade. Depuis son lit, emmitoufflé dans ses couvertures, il fixait le tiroir de son bureau qui contenait le Death Note, nauséeux, sans pour autant se résoudre à se débarrasser de cette horreur. Il se sentait tellement sale, et pourtant ... il ne pouvait l'admettre, mais au fond de lui-même, il aimait ça. Dans ses pires cauchemars, il se voyait en train d'écrire sur le cahier. Chaque trait de plume avait l'effet d'un scalpel entaillant la chair : le cahier saignait. Le sang coulait jusqu'à inonder la pièce où il se trouvait, et il se noyait dans le liquide rouge d'une tiédeur écoeurante. Se noyait ou s'y baignait avec délices ? Il se réveillait trop tôt pour pouvoir en juger.
Il resta ainsi sur le fil du rasoir, prêt à craquer et à tout raconter à ses parents, jusqu'à ce qu'il se fasse une raison. On ne le croirait pas. Et puis, le cahier était une arme monstrueusement puissante, mais fallait-il réellement en avoir peur ? Il y a toujours du bon dans le mauvais. N'était-ce pas un outil qui pourrait lui permettre de construire le monde idéal dont il rêvait ? Une civilisation brillante où tout le monde vivrait en paix, selon les règles du jeu que les sociétés s'étaient imposées ? Il découvrait qu'il détenait le pouvoir d'arbitre universel. Il était le seul à pouvoir le faire ! Ce ne fut qu'une semaine après avoir découvert le cahier qu'il rencontra le possesseur du Death Note : le Shinigami Ryuk. Celui-ci lui apprit qu'il n'était pas un élu, mais un simple jouet. Light leva ses yeux incrédules vers ceux du Shinigami. Ce monstre pouvait dire ce qu'il voulait ... il ne le croyait pas une seconde sur ce chapitre.
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Aujourd'hui, 8 décembre 2003, des bruits circulent sur internet. Les gens ne sont pas si bêtes : ils savent qu'un justicier veille désormais sur le monde et le débarasse des parasites qui gangrènent les sociétés. La rumeur populaire l'a baptisé Kira. Celui-ci fait la moue en découvrant son surnom. Il ne se considère pas vraiment comme un tueur. Plutôt comme un juge. Un juge dont la sentence est infaillible et inévitable. Il se laisse tomber sur sa chaise et contemple le fruit de son traval : les noms de 137 personnes se trouvent déjà écrits sur le cahier. Ce sont tous des condamnés à mort connus des médias, ayant échappé à la peine capitale en usant de relations plus ou moins douteuses, de subterfuges malsains et de combines sournoises pour se dérober au juste châtiment qui leur était promis. On ne peut pas effacer les noms. Et cela n'a aucune importance, car Kira n'a pas l'intention de reculer.
Non, il ne rendra pas les armes, quoiqu'en dise L devant sa caméra. Non, ce qu'il fait n'est pas « Mal », ou du moins, c'est un moindre Mal pour un Bien plus grand. Non, la mission de la police ne doit pas être de le pourchasser, mais de l'assister. Sur une double-page du cahier noir, le nom de Lind L Taylor s'étale en lettres capitales rageusement tracées au stylo-bille. Il s'est fait avoir, c'est ce que lui apprend la voix grésillante de L. Mais non, il ne renoncera pas. Il est prêt à relever le défi, et puisque les gens ont compris qu'il est un homme doué d'une volonté, il va la faire connaître ...